Je viens d\u2019achever la lecture du tout dernier ouvrage de notre si bien-aim\u00e9 Souleymane Bachir Diagne. Qui n\u2019aime pas Bachir ? Le contraire serait se soustraire \u00e0 la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 d\u2019Allah, \u00e0 la beaut\u00e9 et \u00e0 la puissance de l\u2019esprit !<\/p>\n\n\n\n
\u00ab Le fagot de ma m\u00e9moire \u00bb, son ouvrage, est une sorte d\u2019autobiographie du cheminement de Bachir, de l\u2019enfance jusqu\u2019aux amphith\u00e9\u00e2tres les plus hupp\u00e9s, aujourd\u2019hui Columbia University, apr\u00e8s bien d\u2019autres. Quelle merveille de parcours acad\u00e9mique ! \u00c9coutons Bachir s\u2019expliquer sur ce qui a conduit \u00e0 cet ouvrage : \u00ab L\u2019interruption que constitue ce livre est un moment de d\u00e9tente\u2026un r\u00e9pit donc\u2026Cette contemplation aura \u00e9t\u00e9\u2026celle de villes que j\u2019aime et o\u00f9 je passe toujours du temps, sur trois continents\u2026 une \u00e9vocation des ma\u00eetres aupr\u00e8s de qui j\u2019ai eu le bonheur d\u2019apprendre. De mes parents. De ma famille. De mes amis.\u00bb<\/p>\n\n\n\n
Cet ouvrage nous conduit de Saint-Louis \u00e0 Ziguinchor, de Dakar Sicap \u00e0 Paris, de Cambridge Massachussetts \u00e0 D\u00fcsseldorf et Bayreuth, de Dakar Les Mamelles \u00e0 Chicago Illinois, de New York, New York.<\/p>\n\n\n\n
Des voyages et des r\u00e9cits \u00e9mouvants, saisissants, humains, fraternels, divins. La langue de Bachir invite au r\u00eave et \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 des choses. C\u2019est une langue \u00e9crite rare, belle, juste, et souvent si \u00e9tonnante et si rac\u00e9e, si riche et si expressive, qu\u2019elle vous donne le tournis \u00e0 travers des concepts et des concepts, des courants et des courants, des philosophes et des philosophes. <\/p>\n\n\n\n
On se demande comment on a pu lire autant de livres, ranger de telles citations dans sa t\u00eate, se rappeler de tel ou tel courant de pens\u00e9e ! Ce n\u2019est pas seulement \u00eatre philosophe, quelque chose d\u2019autre dont nous n\u2019avons pas le nom, tient et guide le verbe de Bachir. En le lisant, on revient toujours sur les mots, les pens\u00e9es, les dits et les non dit, pour mieux comprendre et pouvoir retenir de grandes le\u00e7ons de philosophie et d\u2019humanit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n
R\u00e9gul\u00e9e La philosophie est une profonde et rayonnante humanit\u00e9. Elle est un exercice de haute contorsion de l\u2019esprit. Elle est lucidit\u00e9 au del\u00e0 de la lucidit\u00e9. Elle est vertige mais vertige conduite. Elle m\u00e8ne \u00e0 de soudaines altitudes qui exigent de nous les marginaux, une sorte de masque \u00e0 oxyg\u00e8ne. La philosophe est un tortueux serpent arc-en-ciel dont on ne voit jamais les fesses. Pour dire ses parts d\u2019escales dans des gares o\u00f9 l\u2019on peut attendre longtemps qu\u2019un train passe. La philosophie est une sagesse exigeante dont le doigt de la main indique le sommet de la montagne alors que la paume repose dans la vall\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n
Saint-Louis du S\u00e9n\u00e9gal ! Bachir se confie : \u00ab \u00catre saint-louisien constitue une part essentielle de mon identit\u00e9\u2026Mais \u00eatre saint-louisien ou, mieux, un enfant de Saint-Louis, c\u2019est participer d\u2019une culture\u2026 d\u2019un certain ethos que ma famille m\u2019a tout naturellement transmis\u2026 cette culture est faite d\u2019une tol\u00e9rance qui n\u2019est pas condescendance, mais sens du pluralisme. \u00bb <\/p>\n\n\n\n
Suivent de longues et savoureuses pages o\u00f9 le philosophe d\u00e9roule l\u2019histoire de la ville d\u2019eau. On apprend alors beaucoup sur Saint-Louis la \u00ab driank\u00e9 \u00bb de toujours et qui ne laisse personne indiff\u00e9rent. Et puis Bachir parle de ses parents : \u00ab Ma m\u00e8re n\u2019a jamais regrett\u00e9 de s\u2019\u00eatre mari\u00e9e t\u00f4t\u2026 \u00e0 accompagner celui qu\u2019elle appelait parfois son camarade. Et bien s\u00fbr \u00e0 ses enfants dont je suis l\u2019a\u00een\u00e9. Je suis n\u00e9 quand elle avait dix-sept ans. Une enfant. Et d\u00e9j\u00e0 m\u00e8re\u2026 Ma m\u00e8re a manifest\u00e9 toute sa vie ce d\u00e9sir d\u2019\u00e9cole\u2026 De ce d\u00e9sir d\u2019\u00e9cole qui habita aussi mon p\u00e8re, qui fut toute sa vie boulimique de lecture, je suis bien l\u2019enfant\u2026 Je n\u2019ai v\u00e9cu que tr\u00e8s peu de temps dans ma ville natale m\u00eame si je dois tout \u00e0 sa culture et \u00e0 sa spiritualit\u00e9. Le temps d\u2019y savoir marcher \u00e0 quatre pattes, puis de me tenir debout tout seul sur mes deux jambes, et nous voil\u00e0 partis, mes parents et moi, pour la Casamance et la ville de Ziguinchor o\u00f9 j\u2019ai appris \u00e0 courir, \u00e0 parler, \u00e0 danser. \u00bb<\/p>\n\n\n\n
Ziguinchor ! Bachir parle : \u00ab Lorsque en 1984 j\u2019ai assist\u00e9, au stade demba-Diop de Dakar, \u00e0 un concert monstre des Toure Kunda, je me suis senti litt\u00e9ralement transport\u00e9\u2026Ces rythmes m\u2019avaient en effet habit\u00e9 dans les premi\u00e8res ann\u00e9es de ma vie que j\u2019ai pass\u00e9es \u00e0 Ziguinchor\u2026 pour moi c\u2019est la Casamance o\u00f9 j\u2019ai pass\u00e9 ma premi\u00e8re enfance qui a construit mon \u00eatre-au-monde sur le mode bougarabou\u2026 <\/em>Mes parents m\u2019ont r\u00e9p\u00e9t\u00e9 mille et une anecdote sur mon sens pr\u00e9coce du rythme et mon amour de la danse\u2026 une certaine intelligence des langues aussi. J\u2019en ai parl\u00e9 assez rapidement quatre : le wolof, le fran\u00e7ais, le diola, le cr\u00e9ole. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Autre \u00e9pisode souriante que raconte Souleymane Bachir Diagne : \u00ab \u2026 tr\u00e8s vite j\u2019ai parl\u00e9 le fran\u00e7ais \u00e0 un niveau qui n\u2019\u00e9tait pas celui de mon \u00e2ge, ce qui faisait dire aux amis de ma famille : \u00ab mais o\u00f9 don Jules va t-il chercher ses phrases ? \u00bb \u00ab Jules \u00bb, c\u2019\u00e9tait moi\u2026Quel glissement\u2026 de \u00ab Souleymane \u00bb \u00e0 \u00ab Jules \u00bb ?\u2026 ce premier surnom invitait ensuite \u00e0 toutes les variations. Il y avait \u00ab Julot \u00bb d\u2019abord, bien s\u00fbr. Mais aussi \u00ab Jules C\u00e9sar \u00bb ou simplement \u00ab C\u00e9sar \u00bb. Pourquoi pas ? tant qu\u2019\u00e0 s\u2019appeler \u00ab Jules \u00bb, autant se d\u00e9clarer \u00ab C\u00e9sar \u00bb. Mais puisque \u00e0 l\u2019\u00e9poque je ne voyais pas qui pouvait \u00eatre ce \u00ab Jules \u00bb romain, ma pr\u00e9f\u00e9rence allait \u00e0 un autre grand homme, celui-l\u00e0 bien de chez nous : Jules Charles Bernard, le maire de la ville de Ziguinchor. Je ne voulais pas pourtant \u00eatre maire. Mon projet \u00e9tait de faire comme mon p\u00e8re et ma m\u00e8re, et de devenir un employ\u00e9 des PTT. Mais alors en qualit\u00e9 de facteur, car de tous les postiers c\u2019\u00e9tait celui qui portait un uniforme. Et un k\u00e9pi\u2026 Comme Saint-Louis, Ziguinchor est une ville historique et hybride qui fut, elle aussi, fond\u00e9e d\u2019abord comme un comptoir par le Portugal, au milieu du XVII\u00e8me si\u00e8cle. La ville s\u2019est ensuite d\u00e9velopp\u00e9e comme une soci\u00e9t\u00e9 m\u00e9tisse afro-portugaise, ce dont attestent plusieurs aspects de la culture et, bien s\u00fbr, la langue cr\u00e9ole. Fran\u00e7ais et anglais ne se manifesteront vraiment dans la zone qu\u2019au XIX\u00e8me si\u00e8cle et la colonisation qui la rattachera, \u00e0 partir de 1886, au reste du territoire s\u00e9n\u00e9galais aura aussi \u00e9t\u00e9 une entreprise de francisation de cette ville rest\u00e9e \u00e0 bien des \u00e9gards afro-portugaise. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Et Jules\u2026 pardon, Souleymane, de nous confier encore : \u00ab Les premiers textes qui se sont imprim\u00e9s dans ma m\u00e9moire sont bien entendu d\u2019abord les chapitres du Coran\u2026 C\u2019est \u00e0 l\u2019\u00e9cole coranique o\u00f9 mes parents m\u2019avaient inscrit en m\u00eame temps qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9cole maternelle dite \u00ab fran\u00e7aise \u00bb que mon apprentissage de la lecture du livre saint de l\u2019islam s\u2019est fait de mani\u00e8re syst\u00e9matique. C\u2019est donc \u00e0 Ziguinchor\u2026 que j\u2019ai d\u2019abord appris \u00e0 d\u00e9chiffrer les lettres de l\u2019alphabet latin en m\u00eame temps que celles de l\u2019alphabet arabe. \u00bb <\/p>\n\n\n\n Dakar, Sicap ! Bachir \u00e9crit ceci : \u00ab \u2026 Jusque-l\u00e0, urbaniser la ville de Dakar, qui grossissait d\u2019ann\u00e9e en ann\u00e9e, consistait \u00e0 am\u00e9nager au mieux la ville europ\u00e9enne, le Plateau, en la s\u00e9parant par un \u00ab cordon sanitaire \u00bb de la ville indig\u00e8ne, la M\u00e9dina, o\u00f9 se pressait la population autochtone\u2026 L\u2019apartheid est au fondement de la culture coloniale\u2026 L\u2019embl\u00e8me de cette nouvelle philosophie d\u2019am\u00e9nagement des villes coloniales et d\u2019investissement dans le logement des Africains fut la Soci\u00e9t\u00e9 immobili\u00e8re du Cap-Vert, la Sicap, cr\u00e9\u00e9e cinq ans apr\u00e8s la guerre, avec mission de d\u00e9velopper une politique d\u2019acc\u00e8s \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9 b\u00e2tie pour des populations ayant un certain degr\u00e9 d\u2019europ\u00e9anisation, souvent des agents de l\u2019administration. La Sicap sut fournir, \u00e0 la vitesse d\u2019un quartier par an, des villas con\u00e7ues pour formater les indig\u00e8nes dans des familles id\u00e9alement monogames avec deux ou trois enfants. Les quartiers de la Sicap naquirent ainsi l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, portant les noms po\u00e9tiques de Sicap Karack, Sicap Libert\u00e9, Sicap Baobab, Sicap Dieuppeul\u2026 C\u2019est dans le quartier de Dieuppeul I que j\u2019ai pass\u00e9 la seconde p\u00e9riode de mon enfance et l\u2019essentiel de mon adolescence, lorsque mes parents ont quitt\u00e9 Ziguinchor pour un poste \u00e0 Dakar\u2026 En 1966, dans ma dixi\u00e8me ann\u00e9e\u2026 j\u2019ai quitt\u00e9 l\u2019\u00e9cole primaire de Dieuppeul pour \u2026 le fameux lyc\u00e9e Van-Vollenhoven\u2026Les ann\u00e9es Van-Vo furent ainsi des ann\u00e9es rythm\u00e9es par les r\u00e9ussites scolaires, les distributions de prix de fin d\u2019ann\u00e9e, de concours g\u00e9n\u00e9ral\u2026Elles furent particuli\u00e8rement marqu\u00e9es par la personnalit\u00e9 d\u2019une \u00e9l\u00e8ve, Rose Dieng, qui devait donner au S\u00e9n\u00e9gal sa premi\u00e8re polytechnicienne et sa premi\u00e8re m\u00e9daille du CNRS\u2026 j\u2019ai eu l\u2019\u00e9norme surprise, il y a peu, de d\u00e9couvrir que Nantes avait donn\u00e9 le nom de Rose Dieng-Kuntz \u00bb \u00e0 une voie de la ville, dans le quartier de la Chantrerie\u2026 C\u2019\u00e9tait en 1972, durant la c\u00e9r\u00e9monie du concours g\u00e9n\u00e9ral\u2026 en me serrant la main le chef de l\u2019\u00c9tat prit le temps de m\u2019adresser quelques mots de compliment pour avoir obtenu des prix dans les humanit\u00e9s, en grec et latin en particulier, tout en suivant une fili\u00e8re scientifique la s\u00e9rie C\u2026 Je devais revoir le pr\u00e9sident Senghor pour la deuxi\u00e8me fois lorsqu\u2019il m\u2019invita \u00e0 son bureaupour me f\u00e9liciter encore ; cette fois d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 admis au concours de l\u2019\u00c9cole normale\u2026. \u00ab Si vous aviez \u00e9t\u00e9 catholique, je vous aurais sugg\u00e9r\u00e9 de penser, pour une future th\u00e8se, \u00e0 un travail sur saint Augustin l\u2019Africain. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Paris ! Bachir se confie : \u00ab J\u2019ai eu dix-huit ans \u00e0 Paris\u2026 Ces ann\u00e9es que j\u2019ai v\u00e9cues au Quartier latin n\u2019\u00e9taient, bien entendu, pas seulement celles du s\u00e9rieux des \u00e9tudes de philosophie ou des moments de retraite que je soustrayais\u2026 pour les passer \u00e0 la mosqu\u00e9e de Paris\u2026 \u00e0 prier et lire le Coran\u2026 Notre promotion de normaliens en philosophie est parmi les derni\u00e8res de celles qui ont eu pour professeurs, pour ca\u00efmans comme on dit, Louis Althusser, Bernard Pautrat et Jacques Derrida. Avec une telle trinit\u00e9, nous avons \u00e9t\u00e9 certes \u00e0 bonne \u00e9cole\u2026 ann\u00e9e 1978 est celle ou j\u2019ai pass\u00e9 l\u2019agr\u00e9gation\u2026Le jour des r\u00e9sultats, avant d\u2019arriver \u00e0 la Sorbonne o\u00f9 ils \u00e9taient affich\u00e9s, je rencontrais rue Soufflot Althusser\u2026 C\u2019est lui qui m\u2019apprit que j\u2019\u00e9tais re\u00e7u. C\u2019est donc en agr\u00e9g\u00e9 de philosophie que j\u2019allais effectuer mon premier voyage en Am\u00e9rique. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Cambridge, Massachusetts ! Notre jeune philosophe avec son nouveau grade d\u2019agr\u00e9g\u00e9, d\u00e9barque en terre d\u2019Am\u00e9rique : \u00ab C\u2019est donc \u00e0 l\u2019automne 1979, que j\u2019ai travers\u00e9 l\u2019Atlantique pour la premi\u00e8re fois, pos\u00e9 le pied sur le sol du Nouveau Monde \u00e0 l\u2019a\u00e9roport JFK de New York, et atterri \u00e0 l\u2019a\u00e9roport de Boston.\u2026 \u00ab Nous accueillons notre h\u00f4te, quelle que soit sa race ou sa religion. \u00bb Cette d\u00e9claration \u00e9tait accroch\u00e9e \u00e0 la porte d\u2019entr\u00e9e de la maison o\u00f9 j\u2019ai \u00e9t\u00e9 invit\u00e9 d\u00e8s le lendemain de mon arriv\u00e9e. Sa lecture m\u2019a intrigu\u00e9. Qu\u2019avait-on besoin d\u2019afficher, c\u2019est le cas de le dire, que l\u2019on n\u2019\u00e9tait pas raciste ?\u2026 Boston \u00e9tait l\u2019une des villes les plus s\u00e9gr\u00e9gu\u00e9es des Etats-Unis\u2026 La trajectoire qui avait \u00e9t\u00e9 la mienne jusque-l\u00e0\u2026 aurait pu me faire croire, na\u00efvement, que le m\u00e9rite est le grand \u00e9galisateur qui r\u00e9compense celui qui se consacre \u00e0 l\u2019\u00e9tude\u2026Ce n\u2019est pas faux\u2026 mais encore faut-il \u00eatre dans les conditions de pouvoir prouver son m\u00e9rite. Aux esclaves venus d\u2019Afrique il avait \u00e9t\u00e9 interdit d\u2019apprendre \u00e0 lire et \u00e0 \u00e9crire\u2026 Concernant les projets acad\u00e9miques pr\u00e9cis qui m\u2019avaient amen\u00e9 , j\u2019ai tir\u00e9 le meilleur profit de mon s\u00e9jour \u00e0 Cambridge\u2026\u00c9tudier \u00e0 \u00c9merson Hall, au d\u00e9partement de philosophie de Harward, repr\u00e9sentait pour moi un r\u00eave qui se r\u00e9alisait\u2026J\u2019avais inscrit un sujet de th\u00e8se sur la logique alg\u00e9brique de Boole\u2026 Les choses se pass\u00e8rent comme pr\u00e9vu\u2026en 1982 je soutins une premi\u00e8re th\u00e8se qui six ans plus tard s\u2019enflerait en un doctorat d\u2019\u00c9tat sur l\u2019alg\u00e8bre de Boole. Je pouvais rentrer au S\u00e9n\u00e9gal. Et enseigner \u00e0 l\u2019universit\u00e9 de Dakar qui porterait, cinq ans plus tard, le nom de Cheikh Anta Diop. \u00bb<\/p>\n\n\n\n D\u00fcsseldorf et Bayreuth ! \u00ab \u2026 En octobre 1982, je fis donc ma rentr\u00e9e au d\u00e9partement de philosophie\u2026 je retournais au S\u00e9n\u00e9gal apr\u00e8s presque dix ann\u00e9es pass\u00e9es en Europe, sauf une en Am\u00e9rique\u2026J\u2019\u00e9tais parti adolescent\u2026 je revenais jeune homme de vingt-six ans, avec la responsabilit\u00e9 de contribuer \u00e0 la philosophie s\u00e9n\u00e9galaise. Plus largement, par l\u2019enseignement et la recherche , \u00e0 la philosophie africaine\u2026L\u2019ann\u00e9e 1982 fut aussi celle o\u00f9 il me fut donn\u00e9 de prendre part pour la premi\u00e8re fois, dans une conf\u00e9rence avec des philosophes africains de renom\u2026 Je ne sais plus dans quelles circonstances pr\u00e9cises j\u2019ai rencontr\u00e9 en personne Paulin Hountondji\u2026 C\u2019est \u00e0 cette rencontre que je dois d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 invit\u00e9 \u00e0 ma premi\u00e8re conf\u00e9rence internationale de \u00ab philosophie africaine \u00bb, \u00e0 D\u00fcsseldorf\u2026 \u00bb<\/p>\n\n\n\n Dakar, Les Mamelles ! Souleymane Bachir Diagne s\u2019installe donc \u00e0 Dakar. \u00c9coutons-le sans jamais se lasser : \u00ab \u2026 \u00catre enseignant est le meilleur moyen de rester un \u00e9tudiant. J\u2019avais aim\u00e9 ma vie d\u2019\u00e9tudiant, je la continuais comme professeur. D\u2019ailleurs, j\u2019\u00e9tais \u00e0 peine plus \u00e2g\u00e9 que mes \u00e9tudiants lorsque j\u2019ai d\u00e9but\u00e9\u2026Je vivais de nouveau chez mes parents\u2026j\u2019ai d\u00e9m\u00e9nag\u00e9 de Dieuppeul au centre-ville\u2026Pour mes d\u00e9placements, je m\u2019\u00e9tais trouv\u00e9 une 4L d\u2019occasion\u2026Diderot dit qu\u2019il n\u2019est pas bon qu\u2019un philosophe gagne trop d\u2019argent pour la paix de son esprit ni trop peu pour la m\u00eame raison\u2026la deuxi\u00e8me universit\u00e9 du pays, \u00e0 Saint-Louis, allait \u00eatre achev\u00e9e et il \u00e9tait convenu qu\u2019elle porterait le nom que Senghor\u2026 avait pr\u00e9vu\u2026J\u2019avais jou\u00e9 un r\u00f4le actif dans l\u2019inauguration et le bapt\u00eame de la nouvelle universit\u00e9 parce que, depuis 1993, j\u2019avais ajout\u00e9 \u00e0 mes responsabilit\u00e9s acad\u00e9miques la fonction de conseiller pour l\u2019\u00e9ducation et la culture du pr\u00e9sident socialiste Abdou Diouf\u2026 Lorsque qu\u2019en mars 2000 Wade a remport\u00e9 les \u00e9lections\u2026 j\u2019avais pris la d\u00e9cision d\u2019accepter un poste \u00e0 l\u2019universit\u00e9 de Northwestern, \u00e0 Chicago\u2026 \u00bb<\/p>\n\n\n\n Chicago, Illinois ! Bachir d\u00e9barque : \u00ab Welcome in the Windy City :<\/em> c\u2019est par ces mots que le pilote de l\u2019avion\u2026 m\u2019a amen\u00e9 \u00e0 Chicago\u2026 L\u2019Am\u00e9rique o\u00f9 pendant trois ans j\u2019ai enseign\u00e9\u2026 la philosophie islamique et la philosophie africaine\u2026 n\u2019\u00e9tait pas la m\u00eame Am\u00e9rique devenue, en juin 2002, notre pays d\u2019adoption\u2026Entre-temps, il y avait eu la trag\u00e9die du 11 septembre. Et enseigner la philosophie islamique dans l\u2019Am\u00e9rique d\u2019apr\u00e8s le 11 septembre avait d\u00e9sormais un autre sens\u2026 Il en est du monde acad\u00e9mique am\u00e9ricain comme du football professionnel : il a son mercato<\/em>\u2026 Avant donc qu\u2019en 2007 mon camarade de l\u2019\u00c9cole qui avait fait toute sa carri\u00e8re \u00e0 Columbia m\u2019ait parl\u00e9 de la possibilit\u00e9 d\u2019un poste \u00e0 New York\u2026 partir ne fut pas facile\u2026 Mariane \u2013 \u00e9pouse du philosophe \u2013 fut d\u2019avis que nous allions \u00e0 New York\u2026 \u00bb<\/p>\n\n\n\n New York, New York ! Enchant\u00e9 et enchanteur, notre solide et bien-aim\u00e9 philosophe s\u2019est bien install\u00e9 \u00e0 New York. Il nous r\u00e9v\u00e8le ceci : \u00ab \u2026 A la fin des ann\u00e9es 1980, les immigrants s\u00e9n\u00e9galais se sont regroup\u00e9s dans une Association nationale des S\u00e9n\u00e9galais d\u2019Am\u00e9rique, ASA\u2026 Nous installer \u00e0 New York, pour ma famille et moi-m\u00eame, c\u2019\u00e9tait aussi rejoindre une communaut\u00e9 s\u00e9n\u00e9galaise qui y a \u00e9lu domicile\u2026 Je quitte ma fen\u00eatre, mon observatoire, d\u2019o\u00f9 je regarde le New Jersey\u2026Je retourne \u00e0 ma table de travail et \u00e0 mon ordinateur. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Ainsi se ferme cette derni\u00e8re parution de Souleymane Bachir Diagne, en entendant d\u2019autres livres et d\u2019autres voyages. Celui-ci est, sans doute, parmi les plus plaisants, les plus \u00e9mouvants, les plus intimes. Pour \u00eatre all\u00e9 personnellement embrasser la maman de Bachir, je sais ce que cette m\u00e8re repr\u00e9sente. <\/p>\n\n\n\n Lire un philosophe c\u2019est presque lire un livre \u00e0 l\u2019envers. Tout y est \u00e0 la fois labyrinthe et lumi\u00e8re. L\u2019esprit s\u2019y mord la queue, se courbe, se contorsionne, s\u2019agenouille mais s\u2019\u00e9l\u00e8ve toujours. N\u2019est pas philosophe qui veut ! <\/p>\n\n\n\n Bachir est lumineux ! Combien de biblioth\u00e8ques il a bu ? Combien de livres d\u00e9cortiqu\u00e9s ? Combien de pens\u00e9es et de concepts avec lesquels il a dormi et qu\u2019il a d\u00e9v\u00eatu patiemment ? Cet esprit m\u00e9rite tout notre respect, notre infinie admiration.<\/p>\n\n\n\n Bachir, mes tendres bisous \u00e0 \u00ab Doors closing \u00bb\u2026 qui a d\u00fb beaucoup grandir, depuis, \u00e0 l\u2019ombre de papa\u2026<\/p>\n\n\n\n Allez donc et vite, lire \u00ab Le fagot de ma m\u00e9moire \u00bb\u2026 <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Je viens d\u2019achever la lecture du tout dernier ouvrage de notre si bien-aim\u00e9 Souleymane Bachir Diagne. Qui n\u2019aime pas Bachir ? 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