Aucun avocat, aucun juge, aucun auxiliaire de justice ne peut exercer son métier en dehors de l’éthique. Si le dopage tue le sport, c’est parce qu’il viole les principes de l’éthique ; si l’argent tue le sport et pervertit considérablement la politique, c’est parce qu’il opère en contradiction avec les principes éthiques. Si l’éthique était facultative, si on pouvait construire une société sans éthique, exercer une profession sans elle, l’humanité retournerait tout simplement à une situation quasi animale, car l’expérience montre que certains animaux savent vivre en société.
Seuls ceux qui ne connaissaient pas Kéba Mbaye ou qui méconnaissaient son attachement à l’intégrité morale étaient surpris par sa démission en plein processus électoral en 1993 pour mieux circonscrire les limites de sa responsabilité. Si jamais il y a eu dans l’histoire politique sénégalaise un conflit entre ce que le sociologue allemand Max Weber appelle l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, cela pourrait être cette situation dans laquelle l’amour de son pays et l’incivisme de quelques acteurs politiques avaient installé le juge Kéba Mbaye. Laquelle des deux a pesé plus que l’autre sur la balance pour lui faire prendre la décision de démissionner ? Difficile de répondre à cette question d’autant que sa conviction morale ou de juge suffisait pour légitimer cette démission tout comme l’éthique de responsabilité.
Contrairement à la grave décadence qui frappe la société sénégalaise et qui consiste à sacrifier l’éthique et la dignité à la moindre contrariété, la carrière professionnelle et la vie de Kéba Mbaye sont un livre d’éthique que les générations actuelles ont l’obligation de lire et d’enrichir. Kéba Mbaye nous a clairement prouvé par l’action que rien n’est impossible pour une personne qui a la foi (foi en Dieu, foi en ses capacités, foi au travail bien fait, foi aux valeurs morales). Il nous a donné sa vie en guise d’une propédeutique à l’élévation et à la réussite sans tricherie : une véritable éthique de la persévérance et de l’excellence.
La particularité d’un homme vertueux comme Kéba Mbaye c’est qu’il redoutait davantage la sanction de sa propre rationalité que celle qui pourrait émaner d’une clameur populaire ou même de la justice divine. Être quitte avec sa conscience n’est pas une simple expression. Car un homme qui est torturé par le remords dans sa vie ou sur son lit de mort est en conflit avec lui-même. Mourir tranquille, la tête haute et sans se haïr se soi-même est le plus grand pas que l’homme accomplit vers la béatitude céleste.