Monsieur le ministre,
Vous avez été témoin, sans doute désemparé, comme tout acteur de l’éducation, de la recrudescence de la violence dans les écoles sénégalaises. Ici et là, et presque comme tous les jours, des écoliers s’attaquent gratuitement aux symboles de l’éducation partout sur l’étendue du territoire national. Ces actes d’agressions et de vandalismes, certes perpétrés par l’inconscience et peut-être l’insouciance d’une jeunesse en perte de repères, doivent être analysés comme un signe annonciateur d’une école en agonie que la crise qu’elle traverse depuis maintenant une vingtaine d’années a fini par terrasser. Et pourtant, Monsieur le ministre, il est fort à craindre que ce soit sur les épaules de cette jeunesse déboussolée que repose la destinée de notre nation. Le paradoxe atteint son paroxysme lorsque l’école, jadis un lieu de culte de la transmission du savoir, un rendez-vous du donné et du recevoir, est aujourd’hui à l’image de ces arènes dévergondées qui voient se défiler des gladiateurs dont les coups les plus improbables peuvent venir du côté où on les aurait le moins attendu. L’ironie du sort glisse vers la tragédie quand l’on s’aperçoit que cette mutation a eu lieux sous nos yeux. Le constat est amère : Notre système éducatif est loin d’avoir répondu aux questions qu’il se pose pour ne pas se donner les moyens de répondre à celles qui lui sont posées.
Faut-il alors indexer l’indiscipline caractérisée de certains élèves pour seule responsable ? C’est fort probable, car l’école ne saurait être considérée comme une exception face à la montée inquiétante de la violence dans tous les secteurs de la vie sociale. « L’essence de l’homme, disait le MARX des Thèses sur FEUERBACH, n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux ». Après tout, des représentants du peuple se lancent aussi des coups directs en direct à l’intérieur de l’hémicycle. Ne devrait-on pas donc désigner la société elle-même, par l’intermédiaire de ces représentants, coupable pour incitation à la violence ? Sans nul doute ! Et nous voilà sur le terrain de la politique, Monsieur le ministre. Le chargé et le garant de notre politique éducative.
Monsieur le ministre, l’urgence le demande, la situation de l’école l’exige, il vous faut monter au créneau, remettre ces élèves à leur place, par un discours ferme et des actes forts de sanctions adéquates. Si le pouvoir d’exclure définitivement un écolier de l’école n’est plus du ressort exclusif du conseil de discipline, un jour viendra où on ne pourra en reparler qu’à la morgue : l’un mort, l’autre vivant. Ou peut-être les deux vivants car, les morts ne parlent pas.
Cependant, le plus important, Monsieur le ministre, ce n’est pas l’urgence mais l’essentiel. Par-delà les scènes de violence que les politiciens de nos jours ne cessent de montrer en spectacle à nos enfants (les manifestations de mai 2021, les bagarres retransmises en direct et en boucle à la télévision à l’assemblée nationale 2018 puis en 2021…, pour n’en citer qu’elles), c’est notre politique éducative elle-même qui nécessite de profondes réformes.
Monsieur le ministre, donnez aux acteurs de l’enseignement scolaire les moyens adéquats (séminaires, ateliers d’études et de réflexion, assises nationales,…), ils vous proposeront des rapports complets pour une éducation de qualité, adaptée à nos réalités socio-économiques. Je veux parler des vrais soldats de l’élémentaire, du moyen et du secondaire, cela même dont la réalité du terrain se confond avec le quotidien ; et non de ces pseudo-experts de la bureaucratie, imbus d’un certain privilège que leur confèrent des diplômes et des connaissances théoriques, rhétoriques, inadaptés en pratique.
Pour prendre un exemple dans mon domaine de prédilection, l’enseignement de la philosophie nécessite de sérieuses révisions pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans l’éducation de notre jeunesse. Et j’ose poser en principe que l’enseignement scolaire de la philosophie n’est, en aucune manière une formation destinée à de futurs philosophes ; au contraire, la philosophie y est une discipline, au propre comme au figuré, sensée installer des compétences capables de rendre l’expression d’une certaine potentialité. De l’extension de son enseignement (en première et en seconde) à l’allègement du programme en vigueur depuis 2008 – treize longues années pour un programme sensé être de transition : une éternité, une insoupçonnable prouesse de stabilité pour une société en perpétuelle mutation – en passant par une définition claire des objectifs de l’enseignement scolaire de la philosophie : éveiller la conscience des apprenants par l’usage de l’esprit critique pour le goût de la liberté de penser dans la tempérance et la tolérance. Car, après tout, la violence n’est que l’arme des faibles esprits.
Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de mes salutations les plus respectueuses.
Papa Bouya MBAYE
Professeur de Philosophie.
Coordonnateur adjoint au Bureau national,
Membre du Collectif des Professeurs de Philosophie du Sénégal.
Coordonnateur du comité pédagogique de la cellule de philosophie de Matam.