Arrêtons de jouer avec le feu ! (Abdoul Aziz Tall Conseiller en management et ancien ministre)

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Depuis quelques temps, apparaissent dans notre pays des signes inquiétants qui augurent, si l’on y prend garde, de réelles menaces sur notre cohésion nationale, laquelle a toujours été la compétence distinctive de notre nation, en matière de cohabitation pacifique, harmonieuse entre les races, les ethnies, les religions et les confréries. Cette cohabitation pacifique et exemplaire s’est enracinée bien avant les indépendances. En effet, elle s’est construite d’abord sur le socle de solides relations, empreintes de bienveillance et de cordialité, de convivialité, voire de parenté indestructible, entre les différents chefs religieux et coutumiers, qui se sont toujours voués un respect mutuel et une profonde considération qui dépassaient les frontières de leur localité d’origine, servant ainsi d’exemple à l’ensemble des communautés dont ils étaient à la tête. De même, les mariages scellés entre familles d’origine culturelle ou religieuse diverses ont largement contribué à raffermir les liens de solidarité et d’entente, partant, à consolider la communion si essentielle entre les différentes composantes de la société. Et ce n’est pas rien, dans un monde où le repli sur soi, l’autarcie sclérosante, le conservatisme identitaire sont en passe de devenir un véritable fléau, porteur de conflits latents, tapis sournoisement dans l’ombre maléfique des consciences.
Quel bel exemple de grandeur et de noblesse que cette anecdote édifiante relatée souvent dans les chaumières des anciens : Cheikhoul khadim, un jour, mû par sa mansuétude et son ouverture d’esprit et de dépassement, prit la décision mille fois salutaire d’envoyer un de ses disciplines à Seydi Haadj Maalick Sy, pour le parachèvement de ses humanités à Tivaouane. Et lorsque ce dernier termina brillamment sa formation, Maodo, le saint de Tivaouane, lui demanda de retourner auprès de son cousin, le saint de Touba, Cheikhoul khadim, afin de poursuivre sa mission à ses côtés.
Dans un esprit chevaleresque, d’une grandeur d’âme dont seuls les Hommes de Dieu ont le secret, Khadimou Rassoul, l’auteur de Masalikuoul Djinâne, demanda à Maodo de garder son fidèle à ses côtés, et de lui donner éventuellement la tarikha Tidiane, s’il en était demandeur. C’est ainsi que ce dernier s’installa à Tivaouane où il devint un des distingués Moukhadames de Seydi Haadj Malick Sy, jusqu’à son rappel à Dieu.
Quelle belle leçon de sagesse, de magnanimité qui prouve s’il en était encore besoin, que ces hommes-là, n’ont jamais été animés de compétition, de concurrence, ou je ne sais de quelle vaine rivalité.
Autre exemple éloquent : Sans l’avoir jamais rencontré, un éminent Cherif de la Casamance d’alors, avait envoyé tous ses enfants auprès de Seydi Haadj Maalick Sy pour parfaire leur enseignement religieux. Le seul lien qui les unissait alors, était leur appartenance au Sénégal, à l’islam et aux valeurs qu’il incarne.
Après l’indépendance du Sénégal, le Président Léopold Sédar Senghor, aura contribué à la création et à la consolidation d’une véritable nation sénégalaise et d’un État républicain. Quoique de confession chrétienne, il fut soutenu dans sa conquête du pouvoir par les Khalifs Serigne Falilou Mbacke et Serigne Babacar Sy. Preuve que l’appartenance confessionnelle n’a jamais constitué un obstacle à notre « commun vouloir de vie commune ». Un concept traduit en idéal de vie communautaire, que le président poète avait fini lui-même par institutionnaliser, en demandant qu’après chaque réunion du conseil de cabinet, que son ministre chargé de l’information fasse un éditorial axé sur les valeurs cardinales qui fondent une nation. N’est-ce pas là, une fort belle manière de donner un sens à la devise du Sénégal : Un peuple, Un but, Une foi ?
Au demeurant, même s’il ne l’a pas inventé, Senghor aura largement contribué à asseoir solidement la parenté à plaisanterie, qui demeure aujourd’hui encore un des ciments de notre cohésion nationale.
Au cours de sa gouvernance, Le Président Abdou Diouf s’est évertué à consolider cet héritage si précieux, et à raffermir le socle sur lequel repose une véritable République. Jamais durant son magistère, n’ont été mis en exergue des questions identitaires, de quelque nature que ce soit. Même la question du conflit casamançais n’a jamais été gérée par l’Etat sous le prisme déformant de considérations ethniques ou religieuses. Pour preuve, Diouf avait constamment associé les fils du territoire à la recherche de solutions, pour asseoir l’idée que ce n’était ni une affaire d’ethnie, encore moins un problème de religion.
Bien que n’étant pas dit de manière officielle, le choix de Ziguinchor comme deuxième ville devant abriter la CAN 92 participait à ce souci d’intégration, pour montrer à la face du monde que la Casamance fait partie intégrante du Sénégal.
Aujourd’hui, au regard des dérives auxquelles on assiste, autant dans les discours que dans les comportements de responsables censés cultiver un esprit de cohésion nationale, il y a lieu de se demander si tous ces précieux acquis ne sont pas menacés.
Qui ne se souvient de cet appel à la violence, lancé par un représentant du peuple, invitant ses parents à l’usage de machettes, à l’endroit de tous ceux qui se seraient opposés à un troisième mandat de l’actuel Président de la République ?
En dépit d’une laborieuse explication sémantique, il n’aura convaincu personne quant à la relativité de ses graves propos. Il ne fut jamais rappelé à l’ordre, du moins officiellement.
Au surplus, des messages sont véhiculés tous les jours dans les réseaux sociaux, qui dénoncent une absence d’équité à travers des nominations considérées comme ethniques, politiques ou familiales au sein de l’Administration publique.
Ce ne sont là que deux exemples, mais qui illustrent parfaitement la chienlit rampante qui devrait faire froid dans le dos de tous ceux se soucient de la cohésion nationale, de la cohabitation harmonieuse et d’une nation apaisée, qui ont toujours existé dans notre société. On constate que la pudeur qui bâillonnait jusque là nos compatriotes d’aborder ce délicat sujet est en train de s’effriter dangereusement.
Et c’est d’ailleurs pour éviter ce genre de situation en matière de promotion au sein de l’Administration publique, que les conclusions des Assises nationales avaient suggéré que les nominations à certains postes de responsabilité soient soumises à un appel à candidatures. Une telle démarche aurait l’avantage de sélectionner les meilleurs candidats, en plus de mettre le Chef de l’Etat à l’abri d’accusations de nominations subjectives, voire affectives. Sur la base de ce processus de sélection et à l’issue des épreuves, il lui serait soumis une liste de trois candidats sur lesquels il pourrait opérer son choix. Une telle démarche n’affecterait en rien, la prérogative constitutionnelle qui voudrait que le Chef de l’Etat soit celui qui nomme aux emplois civils et militaires.
Toujours, dans ce souci d’alerte à la retenue face au danger des pratiques identitaires, il été observé récemment, qu’une partie de la communauté l’Eboué s’est fendue d’un communiqué pour soutenir l’idée que le prochain Maire de Dakar devrait être des leurs. Quelle catastrophe ! quelle hérésie ! D’autant plus condamnable que ce communiqué émane d’éminents notables, supposés être imbus des principes républicains et de vigiles de la sauvegarde de l’orthodoxie des valeurs traditionnelles et religieuses.
Combien d’exemples pouvons nous citer, ici et ailleurs qui illustrent que nul ne peut être un étranger dans une localité de son pays, dès lors qu’il dispose de sa nationalité.
L’exemple le plus évident de ce principe est celui du chef de l’Etat lui-même. D’ethnie Al polar, n’a-t-il pas été régulièrement élu par une localité composée principalement de sérères, bien loin du Djouloumadji de ses ancêtres?
Jacques Chirac de la Corrèze serait-il Maire de Paris si cette règle incongrue lui avait été appliquée en France ?
Que dire d’un Manuel Valls, ancien Ministre de l’intérieur, ancien Premier ministre de France qui a envisagé, il n’y guère longtemps, de présenter sa candidature à la mairie de…. Barcelone dont ses parents sont originaires.
Cheikhoul khadim comme Seydi Haadj Maalick Sy, ne sont-ils pas originaires du Fouta ? Et pourtant c’est au Baol et dans le Cayon qu’ils ont été accueillis dans la pure tradition de l’hospitalité sénégalaise. Ce qui les a emmenés à s’y installer définitivement. Cet appel à l’élection ethnique d’un Maire de Dakar devrait être très vite enterré, et définitivement.
Sur un autre registre, nos médias, aussi bien dans les télévisions que dans les radios et réseaux sociaux sont devenus des canaux de transmission du discours de certains professionnels de l’escroquerie religieuse qui usent et abusent de nos appartenances confrériques pour attiser un fanatisme déconsolidant, dont ils sont les seuls à tirer profit, autant au plan matériel que financier.
C’est le lieu de regretter la responsabilité de l’Etat, défaillant à bien des égards, avec la timide, voire l’absence de réaction des organismes de contrôle et de régulation, face aux joutes organisées par certaines télévisions sous le couvert d’une fausse intention visant semble t-il a exalter les mérites de tel ou tel guide religieux. Les auteurs de ces manipulations sont souvent couverts de cadeaux de la part de fidèles fanatisés, naïfs et incultes, qui considèrent que leur engagement à leur confrérie se mesure à l’aune de leur générosité ostentatoire à l’égard de ces prédateurs religieux.
Outre le danger que ces compétitions entraînent au plan religieux et surtout confrérique, on assiste également à une autre menace à la cohésion nationale à travers l’utilisation de milices privées sur la scène politique. Principalement des nervis recrutés pour casser des adversaires. En plus de fragiliser et de décrédibiliser les institutions républicaines, seules compétentes relativement à l’utilisation de la force publique, cette privatisation de la violence installe une psychose qui pourrait entraîner chaque citoyen ou groupe de citoyens à s’organiser, afin d’assurer les conditions de leur propre sécurité.
C’est la responsabilité de l’État de veiller à ce que des dérives éventuelles pouvant déboucher sur des violences entre adversaires politiques soient évitées. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que des accusations sont portées sur la tolérance, voire la complicité passive des forces de l’ordre, alors que celles-ci doivent être mandatées pour assurer une mission régalienne, de service public au profit de l’ensemble des citoyens. Sans exclusive !
Les forces de l’ordre et de sécurité font partie intégrante de l’Administration publique. A ce titre, elles doivent être par essence, le reflet du fonctionnement d’un système démocratique, en obéissant aux principes de neutralité, d’équité et de mutabilité dans l’exercice de cette mission régalienne.
Il est temps de se ressaisir, afin de conserver ce que nous avons de plus précieux : la paix, la cohésion nationale et le désir d’un commun vouloir de vie commune, qui sont les préalables à un climat de sérénité et de sécurité, condition d’un développement harmonieux d’une nation.
Nous sommes tous interpellées. Que nous soyons à l’intérieur du pays ou dans la diaspora. Personne n’a le droit, pour quelque raison que ce soit, de mettre en péril cet héritage laissé par les anciens.
Le Président de la République, chef de l’Etat et de la nation a la responsabilité majeure et primordiale de consolider l’unité nationale, la concorde, de renforcer la cohabitation pacifique et harmonieuse de l’ensemble de ses compatriotes. En le portant à la magistrature suprême, en lui donnant tous les moyens nécessaires à la réalisation de sa mission, le moins que les sénégalais sont en droit d’attendre de lui, est qu’il assume pleinement cette responsabilité, notamment par la protection de ses compatriotes et de leurs biens.
Quant aux hommes politiques, de quelque bord qu’ils se situent, ils devraient aussi avoir à cœur de sauvegarder la cohésion nationale. Car, il ne sert à rien de conquérir le pouvoir ou de chercher vaille que vaille à le conserver, si l’on doit passer tout le reste de son temps à recomposer les pièces d’une nation éclatée.
Dès lors, la seule et unique condition du maintien de l’unité nationale dans la pluralité des races, des religions, des ethnies, des opinions politiques et de tout ce qui peut nous caractériser différemment sans nous opposer, c’est la stricte application des règles et principes d’une véritable démocratie et le respect scrupuleux, par tous, de la loi fondamentale qu’est la constitution de la République.
Abdoul Aziz Tall
Conseiller en management.
Ancien ministre

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