« Nous devons ouvrir notre continent à lui-même et le transformer en une maison de pouvoir », Achille Mbembé. L’Université Africaine de demain a pour défi de fabriquer les devenirs d’un continent pluriel.
L’Université invente l’avenir. Elle participe, selon la belle expression de Souleymane Bachir Diagne, à « l’usine de fabrication de l’avenir ». Elle produit ceux qui vivront ce futur, ceux qui l’inventeront. Pour cela nous devons d’abord dessiner la société de demain, puis en définir les apprentissages adaptés.
Oui à l’enracinement, Oui à l’affirmation de cette diversité qui fait la richesse de nos pays.
Non à un repli communautaire destructeur du concept de « Nation ».
La suppression des grands internats dans les lycées, creusets du concept de « nation », puis la difficile intégration des nouveaux étudiants dans la jungle des campus auront contribué à la création dans plusieurs universités en Afrique, de communautés autour de l’ethnie ou du village d’origine. Sans surprise aucune, trop souvent, ces groupes sont rapidement devenus des tremplins ou raccourcis politiques pour certains. Au lieu de s’enraciner dans ses traditions, l’étudiant s’est replié sur lui même, hésitant à s’ouvrir à l’Autre, à « Être Monde ».
La solution : Une forte mobilité estudiantine, nationale, régionale puis continentale. Une mobilité entre des universités africaines elles mêmes plurielles.
Nos pays sont pluriels par leur diversité culturelle. L’Afrique est plurielle. C‘est ce qui fait sa richesse. D’où l’importance de bâtir un espace éducatif riche de cette diversité. Et à ce moment, aux jeunes Africains d’aller au delà de leur traditionnelle zone d’évolution. Posons des actes au sein de nos universités.
Action 1 : Mettre en place le programme continental de mobilité universitaire.
Le Programme devra être structuré d’abord, au niveau national et régional. Dans toutes les universités, l’anglais prendra une place importante aux côtés de langues africaines telles le swahili. A titre d’exemple, avant l’obtention de sa licence, l’étudiant de l’université de Thiès fera un semestre L2 d’échange à Ziguinchor, puis un semestre L3 à Cotonou.
A l’échelle du continent, l’étudiant, après une année de perfectionnement en anglais à Ibadan ou à Accra, fera un stage dans une « start up » à Kigali ou à Diamniadio.
Action 2 : Valoriser et multiplier deux nouvelles expertises universitaires organisant et facilitant la mobilité.
Deux fonctions deviendront majeures et incontournables, dans chacune des UFR ou facultés, le « Incoming Management » et le « Outgoing Management ».
La fonction Incoming, chargée de la sélection, de l’accueil et de l’intégration des étudiants venus d’autres pays.
La fonction Outgoing, quant à elle, aura en charge la préparation, l’accompagnement et le suivi des étudiants inscrits dans un programme d’échanges.
A la pratique, notre expérience nous permet d’affirmer que le programme de mobilité exige une meilleure écoute et un suivi personnalisé de l’étudiant.
Action 3 : Développer les « International Visiting Programs », en ouvrant les portes de l’Afrique plurielle aux milliers d’étudiants des autres continents.
Ouvrons nos universités aux étudiants d’Asie, d’Europe et d’Amérique. Apprenons à les recevoir. Irradions le continent de « l’Esprit Teranga ». Ces programmes internationaux sont d’abord source de revenus nouveaux. Les cas du Luxembourg et de l’Australie sont à partager*. Les étudiants Incoming découvrent nos cultures. Ils s’initient à notre histoire. Ils s’abreuvent des spécificités des Afriques. Ils puisent à la source les sciences humaines. Ils apprennent à nous connaître. Bien des préjugés s’effacent. Le Vivre-Ensemble a ainsi un sens.
Notre continent doit redevenir ce vaste espace de circulation, aux carrefours intellectuels multiples. Hier, Tombouctou, Cairouan et Makerere étaient les passages obligés. Depuis 30 ans, avec d’autres, nous semons les graines des carrefours de demain.
A Ashesi University avec Patrick Awuah, à Kigali, au Next Einstein Forum, à Port-Louis avec Fred Swaniker fondateur de l’African Leadership University, à Benguérir, impressionnante initiative avec l’OCP. Les carrefours intellectuels et scientifiques de demain sortent des terres d’Afrique. Les baobabs s’élèvent dans le silence.
Oui, à une université plurielle. Tel est le terreau pour reconstruire nos nations, bâtir une Afrique unie et, au delà des discours panafricanistes, passer aux actes.
Et à nos oreilles, Kwamé Nkrumah de murmurer « Enfin des actes. Il était temps ».
*Le Luxembourg est le pays du monde qui compte en proportion le plus d’étudiants étrangers dans ses universités (48,6 %), devant l’Australie (28,4 %), la Nouvelle-Zélande (20,8 %).
Par Amadou DIAW
Fondateur du Groupe ISM.