Le républicain

Quand le véto du chef de l’Etat favorise l’impunité

Au Sénégal, dans le cadre de la bonne gouvernance, l’Etat diligente souvent des évaluations sur la gestion des institutions du publiques. Sauf que dans la plupart du temps, aucune finalité n’est réservée ces activités de reddition des comptes des missions d’évaluation auprès de certaines institutions ou structures de la République. Parce que tout simplement le Président de la République y met le coude dans le but de protéger certaines autorités politiques. Cette impunité constitue une entrave à la bonne gouvernance de notre pays.

Au Sénégal, l’Etat diligente des évaluations de grandes qualités sur la gestion des institutions publiques. Ainsi chaque année, les organes de contrôle comme la cour des comptes, l’office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), l’inspection générale d’Etat (Ige) et l’autorité de régulation des marchés publics (Armp), publient régulièrement des rapports d’audits. Malgré toutes ces dispositions prises dans le cadre de la bonne gouvernance, on ne donne jamais de suite à ces audits, ni du coté de l’administration, ni de la justice pour la bonne et simple raison que le chef de l’Etat met le coude sur les conclusions de ces rapports.

Par conséquence, le mode de gouvernance s’en trouve altéré face à ce véto du chef de l’Etat. Et pourtant dans ses textes, l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) a fait savoir qu’à la suite de rapport définitif, elle rend compte à l’autorité contractante concernée, au ministre chargé du secteur concerné et à son collègue des Finances, de la procédure suivie lors des contrôles et enquêtes. Elle relève des anomalies et propose, le cas échéant, les mesures correctives appropriées.
Le même document indique que l’Armp peut, par ailleurs, saisir, au niveau national ou communautaire, les autorités compétentes de toutes infractions ou irrégularités constatées au cours des enquêtes. A cet égard, il est possible de saisir le procureur de la République, en cas d’infractions présumées à la loi pénale ou le président de la Cour des comptes, en cas de fautes de gestion présumées. Ce qui démontre que ce ne sont pas les mécanismes de sanction qui manquent. Dès son accession au pouvoir Macky Sall avait pourtant pris l’engagement de faire une «gestion sobre et vertueuse». Aujourd’hui, le constat est tout autre car, à la place de cette «gestion sobre et vertueuse», la mal gouvernance et l’impunité ont pris le dessus.

Certaines autorités citées dans des rapports des corps de contrôle n’ont jamais été inquiétées. C’est comme si, il y a une volonté de protéger des personnes citées dans ces rapports. En effet l’impunité est érigée en règle au Sénégal du côté de certains membres du pouvoir. Par exemple l’ancien Directeur général du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), Cheikh Oumar Hanne a été épinglé par un rapport pour l’exercice 2014-2015 de l’Ofnac, publié en 2016 pour des charges relatives à des subventions irrégulières et au détournement de deniers publics, de faux et usage de faux qui avaient poussé l’Ofnac à formuler des recommandations sur ce cas précis. L’organe dirigé alors par Nafi Ngom Keita avait demandé que l’actuel Ministre de l’enseignement supérieure de la recherche et de l’innovation soit non seulement relevé de ses fonctions de directeur du Coud, mais que toutes les mesures soient prises pour qu’il ne soit plus nommé à la tête d’une institution publique. Mais contre toute attente, Cheikh Oumar Hann a été promu au poste de ministre de la République sans que la justice ne fasse son travail sur cette affaire.

Toujours selon le rapport de l’Ofnac publié en 2016, le frère du Chef de l’Etat, Alioune Sall a été impliqué dans l’affaire concernant la délivrance des permis d’exploitation pétrolière à la société Petro-Tim Limited. Un dossier qui dort toujours dans les tiroirs du procureur de la République. L’ancien Directeur général du Port autonome de Dakar (PAD), Cheikh Kanté, nommé lui aussi ministre de la République, est cité dans plusieurs rapports et la liste est loin d’être exhaustive. Selon les organisations de la société civile notamment le Forum Civil, le Président Macky Sall doit mettre fin à ce règne de l’impunité en transmettant les dossiers de tous les ministres et directeurs généraux à la justice. Cependant, on note que les rares cas où ces rapports sont transmis au procureur de la République, lorsqu’il y a une volonté manifeste de liquider un adversaire politique comme le cas avec Khalifa Sall dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Du fait de l’impunité assurée par le Chef de l’Etat, le mode de gestion des affaires publiques induit toujours à la mal gouvernance.

Amacoudou Diouf PRESIDENT DE L’ONG AHDIS : «Quand il y a des mesures, il faut les appliquer et personne ne devrait s’y opposer»

L’Etat commandite des missions d’évaluations auprès de certaines institutions et structures publiques dans le cadre de la reddition des comptes au Sénégal. Une fois que les rapports d’audit ont été remis au procureur de la République, aucune suite ne leur est réservée. Interpelé sur la question, le président de l’Ong Action Humaine pour le développement intégré au Sénégal Amacodou Diouf pense qu’il faut appliquer les mesures correctives. Selon lui, rien, ni personne ne devrait s’y opposer car souligne-t-il, à force de créer des situations d’impunité, on va à la dérive.

«Il y a des rapports d’audits qui peuvent mener carrément à des saisines auprès du juge. A partir de ce moment, il faut rechercher une sanction, soit administrative, soit pénale. Dans la majeure partie des cas au niveau du pays, il y a des dossiers qui aboutissent et d’autres qui sont latents au niveau du juge. Les gens disent souvent que ces dossiers protègent d’éminentes personnalités du pays. Dans ce cas de figure, cela suppose que la mission d’évaluation qui a été commanditée est nulle et non avenue. Donc, cela n’a pas servi à grande chose du fait que la finalité qui devait être donnée à cela n’a pas abouti». Ces explications sont de Amacodou Diouf, président de l’Ong Action Humaine pour le Développement intégré au Sénégal (Ahdis). Pour lui, il est extrêmement important, à chaque fois que le gouvernement ou les décideurs qui ont commandité ces évaluations, sachent que les Sénégalais attendent à ce que ce pays ait une administration transparente et un mode gestion qui est basée sur des principes de transparence et de bonne gouvernance.

Pour lutter contre cette imputé qui conduit à la mal gouvernance au Sénégal, M. Diouf préconise un certain nombre de solutions. «Ce qui est recommandé, c’est qu’à chaque fois, s’il y a des mesures correctives à apporter de prendre toutes les dispositions idoines pour pouvoir exécuter ces corrections. Je pense que cela ne fait que crédibiliser le système de gestion publique. Maintenant, toute autre attitude contraire à cela, ne fera que décrédibiliser ce même système. Par voie de conséquence, ce que les Sénégalais veulent, c’est un système de gestion des affaires publiques qui soit transparent avec des méthodes et des pratiques transparentes, qui puissent permettre qu’il y ait l’équité et la justice dans la gestion», a-t-il soutenu.

De son point de vue, s’il y a des mesures, il faut les appliquer et rien et personne ne devrait s’y opposer. «A force de créer des situations d’impunité, on va à la dérive dans le cadre de la gestion des affaires publiques. Et cela ne peut pas rimer avec un développement. Quand il y a malversations, il faut prendre les mesures disciplinaires nécessaires sans parti pris», a indiqué le président de l’Ahdis. Il propose aussi ce qu’il y ait une dénonciation et que les gens permettent que cette dénonciation porte des résultats.

Par NDEYE AMINATA CISSE

Dakarmatin

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