Ils vivent en permanence avec l’insécurité. Qu’ils soient à la maison, à l’école, dans les daaras ou dans les centres de loisirs, les enfants sont partout exposés aux prédateurs sexuels. Une récurrence du phénomène qui a poussé le chef de l’Etat a davantage corsé les sanctions contre les auteurs de ces crimes. D’un simple délit, passible de cinq à dix ans de prison, le viol et la pédophilie sont passés à un crime condamné à perpétuité, dans certains cas. Dans l’exposé des motifs du projet de loi n°2020-05 du 10 janvier 2020 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant code pénal, il est dit : ‘’(…) que les pénalités portées par les textes méritent d’être réactualisées dans le sens de leur durcissement au regard de la multiplication et de l’intensification des faits d’agressions sexuelles notés ces derniers temps, ainsi que des conséquences dévastatrices de ces infractions’’.
Le texte poursuit que les victimes sortent de ces mésaventures traumatisées, humiliées, déshonorées et parfois stigmatisées, alors que le blâme devrait être situé du côté du violeur. Ainsi, le nouveau projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, le 30 décembre 2019, criminalise intégralement le viol et la pédophilie, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité.
Seulement au Sénégal, ces actes sont le plus souvent l’apanage des proches des victimes. En témoigne les derniers cas enregistrés à Ouakam et à l’Association sportive Dakar Sacré-Cœur. Dans le fief Lébou, les faits qui incriminent le maitre coranique remontent à 1999. Pendant toutes années, le présumé pédophile profitait de son statut pour abuser sexuellement ses élèves. Pire, Mouhamed Abibou Guèye obligeait souvent les pensionnaires de sa structure à entretenir des rapports sexuels entre eux sous son regard afin de récupérer leurs spermes pour, dit-on, des pratiques sataniques.
Le plus étonnant dans ce scandale reste, sans doute, le nombre d’années attendu par les victimes, avant de dénoncer leur bourreau. En effet, C’est à la maturité qu’ils ont pris leur courage à deux mains et se sont résignés à porter plainte. Pendant tout ce temps, combien de pensionnaires ont été abusés ? L’enquête le dira, peut-être.
‘’Des enfants vont à l’école ou au Daara en pleurs, sans que les parents ne se soucient de la cause de ce refus’’
En tout cas, la chargée de communication de l’Association des juristes du Sénégal n’est pas surprise par le fait que les victimes aient attendu toutes ces années pour dénoncer. Car, au Sénégal, la sexualité continue d’être un sujet tabou dans certaines chaumières. D’après Amy Sakho, les lois rigides votées au Sénégal n’auront aucun impacte, si la communication entre parents et enfants n’est pas instaurée au sein du cercle familial. ‘’Il faut inciter les enfants à se confier, leur apprendre à détecter et dénoncer des menaces. Le problème se situe au sein des familles qui ne communiquent pas avec leurs enfants sur le sujet’’, explique le membre de l’Ajs. Pire, soutient-elle, les cours dispensés à l’école sur la sexualité sont assimilés à la perversion.
‘’Souvent, des enfants vont à l’école ou au Daara en pleurs, sans que les parents ne se soucient de la cause de ce refus. Or, chacun peut être un éventuel violeur ou pédophile’’, indique la chargée de communication de l’Association des juristes du Sénégal. Amy Sakho se désole du temps perdu par certaines victimes, avant de se présenter aux boutiques de droit. En effet, dit-elle, elles se présentent deux mois après les faits et dans ces cas les actions qui peuvent être intentées sont limitées.
A côté du scandale sexuel de Ouakam, celui de Dakar Sacré-Cœur continue de révéler ses secrets. Le responsable de la cellule performance de la structure sportive, accusé d’abus sexuel sur sept joueurs mineurs âgés de 13 à 15 ans, clame son innocence. N’empêche qu’il a rejoint la prison en compagnie de l’enseignant coranique Mouhamed Abibou Guèye.
Premières victimes de la nouvelle loi sur le viol ?
Ce qui est sûr, c’est que les deux présumés prédateurs risquent d’être parmi les premières victimes de la nouvelle loi sur la criminalisation du viol et de la pédophilie. S’ils sont reconnus coupables de leurs agissements, ils risquent d’être sanctionnés par l’article 321. ‘’Dans le cas prévu aux articles 320, aliénas 2 et 5 et 320 ter, le maximum de la peine encourue qui sera prononcée, si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle l’infraction est commise, s’ils sont de ceux qui ont autorité sur elle, ou ceux qui sont chargés de son éducation (…)’’.
Une enquête menée par le comité sénégalais de lutte contre la violence faites aux femmes (Clvf) renseigne sur la récurrence des cas de viols au Sénégal. Ainsi entre 2017 et 2018, 668 filles mineures ont été enregistrées par le Clvf contre 706 femmes dans différents endroits : les maisons, chemin du travail ou même dans la rue. Ce qui fait un total de 1374 victimes en deux ans. Des chiffres qui pourrait être en deçà de la réalité au regard des cas passés sous silence.