L’émigration clandestine au Sénégal: Une occasion ultime pour repenser les politiques publiques en matière d’emploi des jeunes

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L’Afrique dispose d’une des populations les plus jeunes au monde.  Qu’elle vive en milieu rural ou en ville, la jeunesse a soif d’opportunités en matière d’emploi et d’activités génératrices de revenus. Cette préoccupation sociale et économique doit être au sommet des agendas des décideurs publiques.  Si l’on prend l’exemple du Sénégal plusieurs agences comme l’ANPEJ, la DER, le FONGIP etc… ont été créées pour soutenir l’employabilité et l’inclusion économique des populations notamment des jeunes et des femmes. Il serait utile de réaliser des audits pour mesurer l’impact réel de toutes ces structures publiques.

La situation est devenue dramatique car des centaines de jeunes sénégalais désespérés, meurent en mer en tentant de vouloir rejoindre l’Europe. Plusieurs facteurs sociologiques peuvent expliquer cette émigration clandestine qui tue notre jeunesse ; on peut citer : le chômage durable, la pression sociale liée à l’obligation de réussir par tous les moyens, la déstructuration de la famille sénégalaise, le démantèlement de notre pacte social, l’absence de perspectives socio-économiques pour la jeunesse. Nous avons choisi ici de traiter du chômage qui est devenu par la force des choses un facteur de mortalité pour notre brave et courageuse jeunesse.

En effet depuis plusieurs semaines, nous assistons à une recrudescence des départs de jeunes sénégalais à bord de pirogues pour fuir le chômage endémique. Les morts se comptent par centaine, les sénégalais et les familles de victimes sont dans l’émoi et la consternation.

Il est évident qu’il faut évoquer la lancinante problématique du chômage des jeunes pour expliquer l’émigration clandestine, mais aussi le sous-emploi : en l’absence de filets sociaux étanches, les jeunes sont parfois obligés d’accepter des emplois mal payés à très faible productivité pour pouvoir survivre. Cette question du chômage ne doit pas non plus occulter le drame de la déscolarisation des enfants : le fait que des enfants sortent du primaire en ne sachant ni lire ni écrire encore moins effectuer des calculs de base. Ce manque de compétences scolaires aura forcément des répercussions sur leur productivité à l’âge adulte.

Des chiffres inquiétants…

Au Sénégal, la situation des jeunes au regard de l’emploi est plus que préoccupante, plusieurs indicateurs le confirment : leur insertion sur le marché du travail est plus que tardive, la précarité  de l’emploi et des revenus est bien réelle, la montée de la pauvreté des jeunes est choquante. En effet, dans notre pays, plus de 60 % de la population est âgée de moins de 20 ans et les jeunes en âge de travailler représentent plus de la moitié de la population active. Dans les prochaines années, l’Afrique sera la zone géographique ayant la main d’œuvre la plus importante en quantité devant la Chine et l’Inde. L’un des grands défis à relever aujourd’hui au Sénégal c’est de permettre à chaque jeune d’exprimer son talent, dans un pays où près de 2 jeunes sur 3 sont au chômage. Le Sénégal figure aujourd’hui dans le Top 10 des pays les plus impactés par le chômage au monde, selon le rapport 2020 de l’Organisation Internationale du Travail (O.I.T).

L’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie sénégalaise (A.N.S.D) estime que, chaque année, plus de 100 000 nouveaux demandeurs d’emplois entre 15 et 34 ans arrivent sur le marché du travail. Le taux de chômage global, estimé à 49 % selon l’Agence, ces chiffres doivent être pris avec des pincettes.  

Les naufragés du désespoir……

Le chômage des jeunes suit une croissance exponentielle, et ce depuis plusieurs années. En effet, les sénégalais diplômés ou pas rencontrent des freins qui les éloignent du marché de l’emploi, retardant ainsi leur insertion sociale et professionnelle. Ces freins sociaux tiennent en grande partie à l’inadéquation entre l’offre et la demande, mais aussi à l’absence de qualification professionnelle, ce qui pose la question du fossé existant entre l’offre de formation et les exigences du monde du travail, sans oublier la faiblesse du secteur privé en perte de vitesse notamment sur le plan industriel. Les causes de ce chômage ne sont pas à chercher bien loin. Le climat socio- économique, mais aussi l’accroissement démographique, l’incapacité du marché de l’emploi à absorber les vagues successives de diplômés qui sortent chaque année du système éducatif sont autant de raisons qui ont décuplé le taux de chômage des jeunes dans notre pays. C’est un véritable drame social qui marginalise de plus en plus de personnes et les confine dans une précarisation croissante et des processus de disqualification sociale. Cette situation de sur- chômage constitue un véritable terreau fertile au durcissement de la délinquance et à l’émigration clandestine avec les pirogues de la mort et le triste slogan de «  Barça wala Barsaq ».

Un jeune sans formation académique de base, sans réelle perspective d’avenir et sans attache sociale, peut parfois emprunter la mer au péril de sa vie. Il faut essayer de comprendre les raisons profondes qui peuvent pousser à ce suicide involontaire. Il faut trouver des solutions au lieu de criminaliser les jeunes et leurs familles. Nul n’affronte la mort volontairement. Ceux qui ont le ventre plein et qui vivent dans le confort doivent entendre les cris d’orfraie de ceux qui ont le ventre vide et qui dorment sans manger.

En définitive, il est important d’aller vers une société plus solidaire et inclusive. Redonner confiance aux jeunes, c’est d’abord être capable de réduire de manière significative le chômage chronique et construire un modèle de développement plus riche en emplois et porteur de plus de cohésion sociale et de stabilité. Aucun jeune ne doit être laissé sans solution au bord du chemin.

Quelques solutions d’urgence pour gérer l’équation de l’emploi des jeunes et de l’émigration clandestine

Face à ce fléau social du chômage de nos jeunes et de l’émigration clandestine, nous proposons les solutions suivantes :

– La convocation des ETATS GENERAUX de la jeunesse élargis aux jeunes eux-mêmes, aux acteurs économiques, aux partenaires sociaux, aux partenaires de développement, aux spécialistes de la question en Afrique et dans le monde, et aux autorités traditionnelles et religieuses du pays.

  • La fusion rapide des agences comme la DER et l’ANPEJ, qui partent d’une belle intention mais faute d’une politisation accrue et d’une absence de gestion axée sur les résultats, ces agences ne donnent pas les résultats escomptés. La mutualisation de ces agences permettrait de faire des économies d’échelle et de donner plus de lisibilité aux politiques publiques en promouvant la logique du guichet unique.
  • Mettre en place une structure nationale, chargée de la mise en œuvre et du suivi de la politique de l’Etat en matière d’emploi des jeunes. Cette structure aura un rôle d’appui- conseil auprès des pouvoirs publics, elle aura pour mission entre autres de définir des priorités quinquennales et une stratégie concertée en vue de concrétiser les politiques en matière d’orientation, de formation professionnelle, d’apprentissage, d’insertion et d’emploi. Elle sera également chargée de jouer le rôle d’observatoire de la situation de l’emploi dans notre pays. En  réalité, il nous faut une véritable stratégie nationale de réduction du chômage des jeunes avec la production d’indicateurs de performance permettant de mesurer le niveau d’efficacité des actions déployées sur le terrain. C’est aussi une manière de  donner de la cohérence, du sens et de la proximité aux politiques publiques dans ce domaine.  
  • Faire entrer l’entrepreneuriat dans le système éducatif, et ce dès l’école primaire, en développant une véritable culture de l’entreprise et en assurant une connexion permanente entre l’école et le monde professionnel.
  • Créer un service d’information, d’orientation et d’accompagnement des jeunes avec des déclinaisons dans les territoires auprès des populations
  • La mise en place d’une véritable  pédagogie de la communication pour sensibiliser les jeunes et les familles aux dangers des pirogues de la mort.  
  • Il est important de soutenir les rescapés des pirogues de la mort par un accompagnement psychologique et un appui auprès des familles éplorées.

Il y a d’autres solutions et stratégies à mettre en place, j’y reviendrai ultérieurement.

Alboury NDIAYE

Docteur en Sociologie et Démographie, spécialiste des politiques publiques

Président de Nouvelle Vision pour le Sénégal

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