Ces gens là oublient que Barthelemy Diaz est un criminel lourdement condamné et qui doit paye à la société entièrement. Le Senegal est le seul pays au monde qui a une presse et une classe politique spécialisées dans l’art d’absolution des pires crimes. Coupable ne suffit plus pour être condamné, même moralement, par la société : enfiler la robe de victime dispense parfois de la plaidoirie au niveau du palais de justice. On ne s’y trompe d’ailleurs guère : les médias offrent une tribune gratuite aux criminels et aux politiciens de métier pour passer de criminels à héros.
L’art de passer de bourreau à victime : par un déplacement astucieux des rôles, allant d’amalgames à amalgames, d’insinuations à insinuations, d’associations, est un sport national. Les morts sont devenus les coupables : coupables d’avoir troublé l’honorable quiétude des vivants, des privilégiés de la République, ceux qui peuvent dégainer et tirer à bout portant devant leurs partisans, la police et les journalistes avec leurs caméras.
Il y en a qui pensent simplement que la République est un jouet pour assouvir leurs pulsions infantiles. Leur univers mental, c’est le jeu de la virilité, de la fougue, de l’invective. Ils ne peuvent rien obtenir par la raison, la passion est leur allié naturel et la victimisation leur ligne de défense. Quand cette ivresse du pouvoir s’incarne chez un individu, son âme ne recèle plus un seul atome de grandeur et il est capable des pires crimes sans une seule once de remords. Or quand un homme atteint ce stade d’absence totale de remords, la vérité et la justice ne sont plus pour lui que des ornements du discours, des contingences ou des broutilles. Voilà comment un homme politique devient un monstre qui se retourne contre ses propres géniteurs pour les dévorer.
Quand Élisabeth Badinter dit que « la victimisation est aujourd’hui un outil politique et idéologique », elle ne sait pas trop dire. Prendre la société en haleine, commettre ses forfaits et se présenter en victimes ne permet pas seulement de se tirer d’affaire, c’est une astuce pour avoir sa place dans le landerneau politique. Il y a des acteurs politiques dont la chose la plus importante qui puisse sortir de leur bouche est l’insulte.
Ce serait illusoire de croire que ces gens feront quelque chose pour que l’espace public soit pacifié et que le débat politique porte sur des enjeux sur lesquels ils n’ont aucune idée. Les médias (il y en a qui sont de véritables officines idéologiques) deviennent des lieux de plaidoirie pour orienter, administrer et enrégimenter l’opinion dans une dynamique d’affaiblissement de la justice.